Extrait :
Mais quand les difficultés qui environnent toutes ces questions laisseraient quelque lieu de disputer* sur cette différence de l’homme et de l’animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation, c’est la faculté de se perfectionner ; faculté qui à l’aide des circonstances développe toutes les autres et réside parmi nous tant dans l’espèce que dans l’individu, au lieu qu’un animal est au bout de quelques mois, ce qu’il sera toute sa vie et son espèce au bout de mille ans, ce qu’elle était la première année de ces mille ans. Pourquoi l’homme seul est-il sujet à devenir imbécile ?
N’est-ce point qu’il retourne ainsi dans son état primitif, et que, tandis que la bête, qui n’a rien acquis n’a rien non plus à perdre, reste toujours avec son instinct, l’homme, reperdant par la vieillesse ou d’autres accidents tout ce que sa perfectibilité** lui avait fait acquérir, retombe ainsi plus bas que la bête même ? Il serait triste pour nous d’être forcés de convenir que cette faculté distinctive et presque illimitée, est la source de tous les malheurs de l’homme ; que c’est elle qui le tire, à force de temps, de cette condition originaire, dans laquelle il coulerait des jours tranquilles et innocents ; que c’est elle qui, faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus, le rend à la longue le tyran de lui-même et de la nature.
Jean-Jacques ROUSSEAU, Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes et si elle est autorisée par la loi naturelle (1754), Première partie, Éditions Dupont, 1823, p. 239-240.
* débattre
** capacité naturelle à devenir meilleur
Questions :
1. Montrez comment, dans cet extrait, Rousseau caractérise l'homme par sa perfectibilité.
2. Pourquoi peut-il, dès lors, poser la question : "pourquoi l’homme seul est-il sujet à devenir imbécile" ? Toute puissance n'est-elle pas puissance des contraires ?
3. En quoi un homme resté à l'état de nature "coulerait[-il] des jours tranquilles et innocents" ? Serait-il pour autant pleinement homme ?
4. Expliquez les oppositions de la fin de l'extrait : "faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus, le rend à la longue le tyran de lui-même et de la nature."
Réflexion :
Si l'homme ne devient pleinement homme que par la culture, à quelles conditions ce développement sera-t-il un gain, et non une perte ?
Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr Télécharger le manuel : https://forge.apps.education.fr/drane-ile-de-france/les-manuels-libres/philosophie-terminale ou directement le fichier ZIP Sous réserve des droits de propriété intellectuelle de tiers, les contenus de ce site sont proposés dans le cadre du droit Français sous licence CC BY-NC-SA 4.0